De longue date, les théories de la lecture ont pensé la réception en s’appuyant sur une conception linguistique du texte : il est alors, selon la formule de Roland Barthes, ce qui se tient dans la Langue, et non pas dans la main. En retour, l’objet matériel de la lecture et ses propriétés particulières ont été perçus comme contingents, et tenus à l’écart de la construction du sens. Les dernières décennies ont cependant vu l’arrivée d’un tournant matériel dans la critique, nourri à la fois par un regain d’intérêt pour l’histoire des supports et par le développement d’une textualité numérique induisant de nouvelles formes de consultation. La défamiliarisation d’habitudes de lecture ancrées depuis parfois plusieurs siècles invite alors, loin du spectre de la mort annoncée du livre et du fantasme d’une virtualisation complète du texte écranique, à prêter attention à ce que nous avons sous la main, que cette main tourne une page ou déplace une souris.
Dès lors, c’est la question d’une pensée, non plus du texte, mais de l’exemplaire qui se pose : l’exemplaire papier, objet autonome qu’il soit manuscrit ou imprimé, produit en série ou unique ; mais aussi l’exemplaire numérique, celui qu’affiche mon écran au moment de la lecture, modelé par le matériel informatique et les logiciels que j’utilise, susceptible d’évoluer ou de boguer à chaque nouvelle consultation. Contrairement au texte linguistique, conçu comme identique pour tous et appuyant des modèles théoriques où le Lecteur n’était qu’une silhouette générale, l’exemplaire est par excellence le support de la lecture individuelle : il est ce que je lis, une matière textuelle particulière rencontrant un corps particulier. La façon dont chacun.e va composer avec cette matière, inventer des postures et essayer des gestes divers, déterminera des performances de lecture singulières, provisoires mais néanmoins susceptibles de laisser sur nos exemplaires des traces devenues lisibles pour d’autres lectures, d’autres lecteurs.
Fruit d’un travail de thèse en cours d’achèvement, cette conférence vise à présenter les différents enjeux théoriques de la lecture d’exemplaire, envisagée comme un cadre d’appréhension d’une réception individuelle et différenciée et comme un moyen de comparaison des phénomènes lectoraux papier et numérique.
Où? Local CSL-4433, Université Laval, en direct sur Facebook ou sur Zoom. Vous pouvez maintenant l’écouter en rediffusion ici.
Quand? Le 8 juin à 12h30
Biographie de Marion Lata
Marion Lata est stagiaire Mitacs au sein du Laboratoire Ex Situ, doctorante en littérature comparée à l’Université Sorbonne Nouvelle et Attachée Temporaire d’Enseignement et de Recherche à l’Université Aix Marseille. Elle achève la rédaction d’une thèse intitulée « Matières de lecture. Pour une théorie de l’exemplaire de la littérature papier à la littérature numérique » sous la direction de Sophie Rabau.