Un vocabulaire descriptif pour les œuvres littéraires numériques

Nommer, décrire

Chaque discipline artistique doit se donner les moyens de décrire et de saisir les œuvres qui s’y développent. Le défi que cette tâche représente est variable, selon l’historicité des pratiques et l’ampleur de celles-ci, le degré de variation dans la nature et les formes de ces œuvres, ainsi que les circonstances qui les voient naître et circuler.

C’est dire à quel point des œuvres récentes, complexes (sémiotiquement) et ancrées dans des réalités nouvelles comme le sont les œuvres numériques, en particulier les œuvres littéraires numériques, rehaussent ce défi critique. Comment nommer ces pratiques, comment les décrire avec justesse, sans négliger pour autant la précision des composantes et déterminants qui en donnent la couleur ?

Depuis les débuts de la convergence de la littérature et de la technologie, avec l’aide des créatrices et des créateurs mêmes, des appellations ont été identifiées ou créées pour tenter de nommer les œuvres, de les classer. La portée immédiate de ces initiatives était patente, mais elle reste limitée.

Page d'accueil de la collection 1 de L'Electronic Literature Collection.
La première collection de l’Electronic Literature Organization en 2003 proposait des termes descriptifs pour certaines œuvres.

Avec les projets de repérage et d’inventaire des œuvres (des projets de recherche),  s’est imposée la nécessité d’aller plus avant dans un raffinement de ces nomenclatures. La diversité des technologies impliquées, des modalités artistiques et techniques, des visages offerts par les œuvres a rapidement obligé à déployer un éventail critique plus étoffé. Comment différencier ces œuvres ? Comment effectuer des recherches ciblées tout en ne réduisant pas chacune d’elles à leur singularité ?

Proposer des nomenclatures descriptives

La mise en place d’un répertoire d’œuvres d’arts et de littérature hypermédiatiques au Laboratoire NT2 de l’UQAM vers 2005 a immédiatement soulevé ces questions, ouvrant à un premier travail de nomenclature descriptive des œuvres hypermédiatiques. Éprouvé à travers les années, ce vocabulaire a su démontrer son utilité, tout en révélant certains angles morts.

Le vocabulaire descriptif du NT2 apparaît dans la colonne de gauche

À la faveur du projet de recherche en partenariat Littérature québécoise mobile (CRSH, 2019-2024), plusieurs chantiers des cochercheurs (dont l’équipe du NT2) ont réactivé le besoin de vocabulaires précis et spécialisés pour décrire les œuvres numériques. Des angles d’approche distincts, des besoins spécifiques, des corpus légèrement cadrés différemment ont conduit à réinterroger la proposition initiale du NT2. La mise à l’épreuve et le travail d’ajustement autant que de bonification ont conduit à une nouvelle mouture de ce vocabulaire, récemment rendu disponible.

Le vocabulaire descriptif des œuvres littéraires numériques (VODOLIN)

L’objectif du vocabulaire est d’offrir un quadrillage terminologique pour décrire sous différents angles des œuvres littéraires numériques. Ce n’est pas un inventaire générique : ne s’y trouvent pas des étiquettes permettant de classer des œuvres, mais plutôt de les décrire. C’est que la production littéraire numérique tend à refuser les affiliations génériques et à forcer l’invention de formes nouvelles : le seul recours à une catégorisation générique rencontre très rapidement ses limites.

La sérialisation des dimensions et volets descriptibles des œuvres numériques a permis d’établir sept pôles (sept points d’entrée) structurant la description critique.

Format : Quels sont les types de média (apparents) de l’œuvre ? Comment l’œuvre se présente-t-elle au spectateur, à la spectatrice ? Au lecteur, à la lectrice ? Le format indique quel type de média est utilisé dans l’œuvre : texte, image, etc. Puis, quand l’information est disponible, le format de fichier informatique utilisé.

Genres et formes littéraires : À quelle catégorie littéraire ou discursive renvoie l’œuvre ? Situé à mi-chemin entre l’ensemble de la littérature et l’œuvre spécifique, le genre est un outil de classement des documents présentant des caractéristiques et des sujets communs.

Modalité procédurale : Par quels moyens interagit-on avec l’œuvre (selon le point de vue de la lectrice, du lecteur ? La catégorie modalité procédurale exprime comment il, elle interagit avec l’œuvre elle-même pour y avoir accès et pour la parcourir.

Nature de l’objet : Quelle est la nature du projet artistique/de l’œuvre ? La nature renvoie à la forme que prend l’œuvre entière, ce qui caractérise sa dynamique propre.

Principe d’organisation : Quels principes ont guidé l’élaboration de l’œuvre ? Le principe d’organisation indique le type d’organisation architecturale de l’œuvre.

Support : Sur quel(s) support(s) matériel(s) peut-on accéder à l’œuvre ? Le support de lecture est l’objet physique (ex. cellulaire, console de jeu…) sur lequel l’œuvre est parcourue.

Technique : Quel outil a été utilisé pour produire l’œuvre ? La technique décrit les outils utilisés pour réaliser l’œuvre, pour produire les fichiers qui la composent.

Chaque point d’entrée offre une liste de possibilités établies, parfois de façon hiérarchique pour aller identifier la caractéristique précise qui éclairera la nature de l’œuvre.

Aperçu du thésaurus sur le site d’Opentheso. La colonne de gauche permet de voir les items dans chaque catégorie et le panneau principal permet d’obtenir les détails du terme sélectionné.

Ouvrir le modèle pour la collaboration

Si, déjà, ce vocabulaire est partagé entre différents chantiers du projet LQM, il importait de pouvoir rendre accessible ce travail collégial, pour qu’il soit utile à la communauté scientifique. C’est pourquoi le Vodolin a été intégré à l’outil de thésaurus OpenTheso, hébergé par la TGIR Huma-num (France). De cette façon, chaque notion possède son identifiant stable au sein de cette architecture de données liées pouvant être mobilisées par l’API d’OpenTheso. Deux projets de LQM incorporent déjà le Vodolin par l’API d’OpenTheso : le Catalogue des œuvres littéraires numériques québécoises (COLiN) du chantier PLiNE et le Répertoire des écritures numériques de la CRCÉN (tous deux utilisant le logiciel Omeka S). Le VODOLIN peut être consulté sur OpenTheso.

Le vocabulaire descriptif des œuvres littéraires numériques a été élaboré conjointement par l’équipe du laboratoire NT2 (UQAM), l’équipe du pôle Québec du projet LQM (Laboratoire Ex situ, Université Laval) et l’équipe de la Chaire de recherche du Canada sur les écritures numériques (Université de Montréal). Nous remercions l’excellent travail des auxiliaires Thomas Crête-Varty et Pierre Gabriel Dumoulin, des coordonnateur·ices Benoit Bordeleau (LQM), Emmanuelle Lescouet (Chaire des écritures numériques) et Marie-Ève Muller (LQM-pôle Québec). Pour toute question ou suggestion, contacter Marie-Ève Muller : lqm.quebec@gmail.com.